CEDES

L'assistant sexuel: pour un droit à la sensualité

L'actualité du 28 juillet 2010

En Suisse romande, les personnes en situation de handicap peuvent désormais faire appel à des accompagnants érotiques. La fin d’un tabou.

«On trouve normal que des gens prêtent leurs yeux pour lire aux aveugles. Pourquoi, ne prêterais-je pas mes mains pour masturber quelqu’un qui ne peut pas le faire parce qu’il souffre de handicap?» Pour Isabelle* la chose était entendue. Dès que l’association Sexualité et Handicaps Pluriels (SEHP) a ouvert la première formation romande en assistance sexuelle, elle s’y est inscrite. «C’était une évidence», confie même cette mère de famille d’une cinquantaine d’années.

Il y a un an, quatre-vingts volontaires ont fait la même démarche qu’Isabelle. «Parmi ces dossiers, nous avons sélectionné 12 personnes. Il y a eu deux retraits en cours de formation», précise Catherine Agthe Diserens, sexopédagogue, formatrice pour adultes et présidente du SEHP. Ils sont donc dix, quatre femmes et six hommes, à être arrivés au terme d’une formation qui leur permet de pratiquer l’assistance sexuelle. C’est-à-dire? «Accompagner sensuellement et sexuellement les personnes en situation de handicap qui le désirent expressément», répond simplement Catherine Agthe Diserens.

Un double tabou

Danemark, Pays-Bas et Allemagne ont été pionniers dans la reconnaissance du droit à l’expérience intime pour les personnes handicapées. Le sujet, aussi délicat que fondamental, soulève deux tabous: la sexualité et le handicap. «Il y a vingt ans, on n’osait pas y penser», relève Catherine Agthe Diserens. Son ouvrage Accompagnement érotique et handicaps (2007), signé avec Françoise Vatré, a mis en lumière les manques sensuels et sexuels vécus par les personnes handicapées.

Le SEHP n’a cessé de poursuivre la réflexion et d’engager le dialogue avec les familles, les personnels soignants et l’opinion publique. Un travail qui a porté ses fruits avec, en 2003, la mise en place d’une première formation d’assistance sexuelle en Suisse alémanique, avant la version romande en 2008.

Des gens ordinaires

Les assistants sexuels sont des gens ordinaires. Ils ont plus de 35 ans, exercent une activité professionnelle et la majorité ont une famille ou un compagnon. Ils ont été désignés sur leur sensibilité à la relation à autrui et sur leur aisance à parler et à vivre leur propre sexualité. Ils font preuve d’une personnalité équilibrée, ont la perception de leurs limites et peuvent argumenter solidement leur motivation. «Ils se sont engagés à en parler à leurs proches», précise encore Catherine Agthe Diserens.

L’assistant sexuel répond aux demandes qui sont adressées au SEHP dans un premier temps. «Une femme qui souhaite avoir un contact peau à peau. Un homme qui veut voir une femme nue. Un massage érotique ou une masturbation. Il y a autant de demandes que de situations individuelles.» Les baisers et les pénétrations ne font pas partie de la prestation, facturée 150 francs l’heure.

Quelle différence avec la prostitution? «Même si aujourd’hui son statut y est assimilé, il se démarque sur trois points: les assistants sexuels sont sélectionnés, ils sont formés et supervisés», explique la présidente du SEHP. «Ce sont des différences importantes aux yeux des parents, des tuteurs et du personnel médical, relève Catherine Agthe Diserens.

Mais cela reste une activité extraordinaire.»

* prénom d’emprunt

Pour en savoir plus: http://www.sehp-suisse.ch

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«Ma fille est fière de moi»

«Que des parents se posent la question de la masturbation pour leur enfant handicapé, c’est humain. Mais ils ne peuvent le faire eux-mêmes, c’est inacceptable! Alors que pour moi c’est possible, justement parce que ce n’est pas mon enfant», raconte Isabelle*, assistante sexuelle pour des personnes en situation de handicap.

Tout aussi simplement a-t-elle annoncé à sa fille et au père de celle-ci sa nouvelle activité. «Je suis fière de toi», a répondu la première. «Ça te va bien», a reconnu le second. Sensibilisée à la différence, Isabelle entend dépasser les discours. «On peut faire du politiquement correct, dire en situation de handicap au lieu de handicapé, mais, sur le terrain, il faut des actes.»

Même si pour cela il faut accepter un statut qui l’assimile à la prostitution? «J’ai beaucoup de respect pour cette profession, mais ça fait quand même bizarre. Je considère qu’il ne s’agit que d’une étape.» Craint-elle de ne pas pouvoir toujours faire respecter ses limites dans un érotisme sans sentiments? «C’est le piège. Nous avons été préparés à cela. Nous avons des ressources. Mais le risque demeure. C’est comme la pluie, on ne peut empêcher sa venue, juste s’équiper de bottes et de parapluies», explique-t-elle. (el)

* Prénom d’emprunt

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«Je vais refuser certains gestes»

Jacques a 55 ans, il est physiothérapeute, marié depuis longtemps et père de trois enfants. «Je joue la transparence», annonce-t-il. Même certains de ses patients ont été informés de son activité d’assistant sexuel. «Ils sont très intéressés», remarque le praticien qui doit répondre à deux questions récurrentes.

Jusqu’où Jacques est-il prêt à aller? «Chacun est libre de fixer ses propres limites. Je sais que je vais refuser certains gestes avec les hommes, ou des prestations avec des femmes très jeunes.» Et si la personne handicapée se piquait de sentiments? «Mais une patiente que je soignerais pour un orteil pourrait aussi tomber amoureuse de moi.»

Sa pratique de la physiothérapie l’a-t-il avantagé dans sa démarche? «J’ai dû exorciser le physio. Surtout au niveau du toucher. J’ai appris à passer d’un contact anatomique à quelque chose de sensuel.»

Jacques est déjà intervenu en tant qu’assistant sexuel: «Il s’agissait de réunir dans un même lit un couple de personnes souffrant de plusieurs pathologies dont la tétraplégie.» Se considère-t-il comme un pionnier? «Avant nous, il y a eu l’action des prostituées. Aujourd’hui, la différence entre elles et nous, c’est surtout le bénéficiaire qui la fait. C’est d’ailleurs lui, la personne vraiment exceptionnelle. La personne handicapée doit dépasser ses propres freins et blocages.»

Craint-il l’exposition médiatique? «On n’a guère de contrôle dans ce domaine. Mais je pense que l’essentiel est que l’information atteigne les gens concernés», affirme l’assistant sexuel, qui a déjà affronté quelques commentaires crus. «On est préparés», assure Jacques, qui ajoute que la formation du SEPH a bouleversé sa vie. (el)



© Carole Parodi/2009 | Les assistants sexuels accompagnent sensuellement et sexuellement les personnes en situation de handicap qui le désirent expressément.

Ressources : Tribune de Genève | Estelle Lucien| 03.06.2009